Un bestiaire à revisiter

 

Note préliminaire 

J’ai jeté ici quelques réflexions sur ce que m’inspire la grotte Chauvet en matière de géopoétique, mais je ne suis pas préhistorien et n’ai pas fait de recherche documentaire avant d’écrire… Tout cela risque donc d’être assez approximatif… mais cela aura au moins le mérite d’une certaine spontanéité.

 

 

La grotte Chauvet paraît si loin de nous ! Elle nous est inaccessible physiquement, mais aussi mentalement : qui a peint ces images ? pourquoi ? dans quel monde ?

Le bestiaire lui-même est tellement loin de nous… avec ses animaux venus d’un autre temps (mammouths, rhinocéros…) ou d’autres continents (lions, panthères, hyènes)… Tout cela semble posé par hasard en cette basse Ardèche – la grotte pourrait être ici ou ailleurs ; de toutes façon, nous n’imaginerions pas croiser un mammouth au sortir de Vallon Pont d’Arc ! La grotte Chauvet est un lieu exceptionnel, mais déconnecté de son contexte spatial et temporel ; un peu comme ces œuvres étrusques, précolombiennes ou africaines que l’on admire sans en rien savoir.

Pourtant, un examen un peu plus attentif et distancié de ce bestiaire peut nous rapprocher un peu de ce lieu.

Tout d’abord, le bestiaire compte quelques animaux que nous connaissons. Le hibou – on peut imaginer le Grand-duc, seigneur nocturne des falaises ardéchoises d’hier et d’aujourd’hui. Le cerf – bien que le pauvre soit encore personna non grata en Ardèche, attendant une volonté publique (chasseurs, sylviculteurs) pour regagner ses terres ardéchoises.

On devine ici le premier enseignement de ce bestiaire : rien n’est figé, et surtout pas la faune sauvage, fluctuant sans cesse au gré du climat, des relations entre espèces et de l’action des hommes. Certaines de ces espèces ont sans doute disparu à cause de leur inadaptation au réchauffement post-glaciations, mais d’autres (la plupart ?) sont sorties de notre monde à coup de pieux, de flèches ou de balles… L’auroch est à présent perdu, mais d’autres pourraient revenir si nous les acceptions : le grand-duc, autrefois rarissime est devenu presque commun depuis sa protection ; le cerf pourrait revenir demain ; le bouquetin a repris une belle place dans les Alpes – ne mériterait-il pas un grand retour dans les blanches falaises des gorges de l’Ardèche ?

Et puis, il y a les grands sauvages – chevaux, bisons ou ours… Ils sont peu ou prou sortis de notre monde, mais ils ne sont pas si loin ; les ours dans les Pyrénées, les bisons en Pologne, les chevaux « sauvages » dans des espaces que tentent de leur céder quelques passionnés…

Ce bestiaire devrait nous apprendre à lire la basse Ardèche d’aujourd’hui comme un point dans un continuum et dans une dynamique. Continuum entre le Paléolithique et nous, continuum entre l’Ardèche, l’Afrique ou la Sibérie. Il nous faut voir le paysage avec des yeux toniques, pour comprendre qu’il n’a pas été immuable,  que l’océan de chênes verts d’aujourd’hui a été précédé par les pâtures des bergers, les grasses forêts des optimums climatiques ou la toundra des ères glaciaires.

Tout cela nous amène à regagner un peu de proximité avec la grotte. Ici ont vécu des humains avec les mêmes besoins fondamentaux que nous, entourés d’animaux que nous connaissons encore ; ils sont les maillons anciens d’une histoire à laquelle nous appartenons.

La visite de ce bestiaire m’amène à penser à l’œuvre de Robert Hainard.

Ce peintre-sculpteur-naturaliste et penseur est une référence incontournable dans quelques microcosmes (canton de Genève et petit monde des traqueurs d’animaux sauvages) mais il semble presque inconnu chez les intellectuels français. Deux aspects de son travail peuvent pourtant éclairer notre lecture de la grotte Chauvet.

Sur le plan esthétique, l’artiste revendiquait deux sources d’inspiration : l’estampe japonaise et la peinture rupestre du paléolithique. N’étant pas historien d’art, je ne commenterai pas cette descendance, mais je peux essayer de percevoir quelques liens : un art brut, épuré, cherchant à capter la force de l’animal plus que le détail de son anatomie. Une sorte d’impressionnisme sauvage – nous autres naturalistes aimons les images d’Hainard parce qu’elles montrent les bêtes comme nous les apercevons parfois au détour d’une forêt. Ces images ne sont pas lisses et plates, mais elles ont une substance – la roche de la grotte ou des sculptures, le procédé sensuel de la gravure sur bois.

                                          

Sur le plan de la pensée enfin, Hainard allait chercher dans la préhistoire le fondement de notre relation au monde. Nous sommes à ses yeux façonnés de façon absolue par l’héritage néolithique, tout en volonté de contrôle, de repli sur soi et de production. Hainard nous engage à nous réapproprier l’apport du Paléolithique : le contact direct des éléments et des bêtes, la vie nomade et frugale, l’art et la magie. Sans se perdre à la recherche d’on ne sait quel âge d’or, il ne semble pas inintéressant de penser à cela, et plus encore à l’ère du numérique, où le néolithique nous semblera bientôt un âge perdu, trop concret pour nos êtres virtuels.

La grotte Chauvet nous incite à nous frotter un peu à l’obscurité de la nuit, à la roche et à la boue, aux animaux sauvages, à nos peurs et nos pulsions. A nous souvenir de l’animal, du « sauvage », et du « primitif » en nous.

 

Et maintenant ?

 

Si l’Atelier de géopoétique poursuit son travail sur Chauvet, que peut-on faire de ce qui précède ? Je vous laisse juge, mais je rêverais d’une projection de gravures d’Hainard sur les parois d’une grotte ardéchoise, ou d’une exposition mettant en vis-à-vis l’art d’Hainard et de ses grands anciens… tout cela animé par l’art vivant de Maria Angela et d’Yvan !

 

 

Jean-Louis Michelot, 22 juillet 2012

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