Notes pour Chauvet

 

Située dans les gorges de l’Ardèche, creusée comme l’arche qui donne son nom à la localité de Vallon-Pont-d’Arc dans des calcaires urgoniens (Crétacé), la grotte Chauvet est un lieu extraordinaire d’articulation entre la nature et l’homme. A mon sens, c’est un des lieux qui nous questionnent le plus, jusque dans notre post-modernité. La plus ancienne des grottes ornées à ce jour (circa 35 000 BP) est aussi, avec Lascaux et Altamira, la plus accomplie artistiquement, coupant court à l’idée d’un tâtonnement ou d’un ‘progrès’ dans les arts. D’un seul coup, un coup de maître…

 

Les questions que ce lieu nous pose sont nombreuses et confinent davantage au mystère qu’à l’énigme. Les Aurignaciens ont laissé leurs réponses – dont le fait qu’elles soient enfouies dans les entrailles de la Terre n’est pas anecdotique – sans que nous ayons connaissance des interrogations, mais il est peu probable qu’elles diffèrent fortement des nôtres. En tous les cas, cet art pariétal apparaissant dans un peuple dont le moins qu’on puisse dire est qu’il vivait plongé dans le monde naturel, montre combien l’art en tant que production de l’esprit est essentiel au devenir humain et pose la question de ce qu’est l’art géopoétique. (voir l’article de J.-J. Wunenberger, « La géopoétique ou la question des frontières de l’art », Philosophique, 2 | 1999, 3-13, quelques citations ci-desous).

 

« l’art géopoétique s’expose à un double défi, celui d’une expérience du monde, qui contrarie toutes les habitudes culturelles, et celui d’un protocole de création qui doit désobjectiver le réel, sans pour autant céder à des expressions banalement projectives et égocentriques. Il lui faut trouer la subjectivité pour rejoindre un proto‑monde, encore bruissant de signes sauvages de la terre. »

 

« L’oeuvre, née d’une expérience du cosmos, semble aussi destinée à remplir une fonction psychotrope, de modification des structures psychiques et de transmission de cette expérience à d’autres. L’oeuvre apparaît, pour celui qui a dépassé le stade du spectacle, comme un « objet transitionnel », destiné à transformer les relations entre sujet et monde. En ce sens, elle se présente plutôt comme un « ob-jeu », comme une réalité structurée « ouverte », qui induit la réorganisation de l’ego par un processus d’extraversion. »

 

« Proche de la fonction d’un mandala, l’œuvre devient alors un montage qui invite au voyage psychique, par et à travers le complexe de matière‑forme. Elle provoque ainsi au déconditionnement et à la réorganisation de l’espace intérieur au contact de l’espace extérieur. »

 

Quel écho a le même lieu, à 35000 ans d’écart ? Alors que ces hommes s’apprêtaient à faire un pas vers l’art au sens où Georges Bataille écrit : « L’art représente une révolte contre le monde profane du travail, dominé par le projet et l’utilité. Dans ce ‘règne de la chose’, des brèches s’ouvrent, passagères, vers l’intimité perdue : l’art comme la poésie, le rire, les larmes, l’ivresse, le jeu ou l’érotisme, crée ces états d’émotion intense. » Nous sommes enfermés dans un monde réifié et dont la seule devise est « à toutes fins utiles ». Nous cherchons à faire le pas qui mène hors de la séparation, du clivage. Aussi la rencontre avec les questionnements des Paléolithiques semble-t-elle moins dénuée de sens qu’il n’y paraissait peut-être d’abord…

 

Jean Clottes écrit : « l’environnement des Aurignaciens était une steppe froide et relativement sèche, à graminées, armoises, chénopodes, gaillets et hélianthèmes. Ce paysage comportait toutefois un certain nombre d’arbres adaptés à la rigueur du climat comme le genévrier, le bouleau et le pin sylvestre, qui devaient être cantonés dans des endroits protégés situés à proximité de la grotte » (La grotte Chauvet – L’art des origines, p 27).

 

Entre cet environnement d’âge glaciaire, proche d’une vallée du Rhône par où transitaient les troupeaux de chevaux et autres mammifères – et notre âge de climat échauffé avec ses transhumances de chevaux vapeur, qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui est resté le même ? Semper eadem, sed aliter.

Régis Poulet

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