Le Livre

2023

21,5 x 16 cm
119 pages
Livre broché
ISBN 9782354480547
Isolato Éditeur, Nancy.

Extrait

« ici débute

la prosodie miocène

du beau pays marin au long destin de fleuve

lové entre la côte

les Andes et la Parime

un pays maritime

en plein milieu des terres

un pays de rivières

aux noms retentissants

Apure Arauca Meta Cinaruco

Caroni Guaviare Caura et Orénoque

il fallait un Gondawana

qui se disloque

un océan naissant

et bien des failles

pour que le continent

une île à cette époque

trouve sa poétique

dans la terre les chairs

les arbres et les eaux

et si en notre temps

le voyageur de ces régions

entend monter de ces cours d’eau

les dolentes lamentations du lamantin

la cantilène des sirènes

s’il voit une Inie sans effroi

un beau dauphin d’eau douce

répondre à quelque geste

il lit le palimpseste

d’un poème miocène »


Notes liminaire & marginale

« À l’heure où le destin collectif des êtres vivants est menacé, ce long poème évoque l’épopée de l’espèce humaine depuis ses origines jusqu’à nos jours dans son rapport toujours étroit aux lieux marins et terrestres, aux êtres vivants qui les ont peuplés et les peuplent encore. L’exploration physique et mentale contemporaine de plusieurs régions de l’ancienne province géologique du Gondwana — avec ce -a de l’origine et des nouveaux commencements qui apparaît au cœur de Gondawana — donne à ces vers la force d’une expérience intensément vécue au contact des éléments, du monde naturel et des peuples, à la recherche de l’ordre anarcho-archaïque le plus riche pour ouvrir et fonder un monde. »

« Ce texte est parsemé de multiples références à des champs du savoir naturaliste, comme l’on disait lorsque la spécialisation à outrance n’avait pas encore coupé les scientifiques d’une vision d’ensemble. Le parangon du savant naturaliste est Alexander von Humboldt, dont il est à plusieurs reprises question ici. Ces références sont des points d’appui, des portes d’entrée vers le réel complexe et magnifique. Elles ne rendent pas la lecture facile mais elles l’enrichissent. Elles ont pour but de tenir un discours précis à propos du monde naturel et de sa poétique à laquelle l’humanité a tourné le dos depuis longtemps. Oui, sa poétique, à savoir ses mille et une façons de créer spontanément des structures à toutes les échelles et dans toutes les parties de la nature — y compris l’humain. La lecture du poème peut se faire sans consulter un lexique. Le réel concret, ce qui croît de soi-même ensemble, résistera un peu ou beaucoup à la lecture, selon. C’est une des caractéristiques du réel de nous résister. Il faut du temps pour le connaître, et ce temps n’est jamais perdu. Puisse le texte en son entier donner envie de retrouver le monde que nous avons perdu. »

Régis Poulet


Recension

David DIELEN : « Gondawana résonne comme une contrée lointaine et inconnue à explorer ; une vaste étendue dans laquelle la roche, finement sculptée par l’érosion, témoignerait d’une transformation longue du paysage à l’échelle des ères géologiques. Les rabats de la couverture confirment en partie cette intuition : Gondwana est une « ancienne province géologique », un supercontinent qui regroupait, il y a des centaines de millions d’années, des espaces aujourd’hui séparés : l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Australie et l’Antarctique. Aussi le recueil se place-t-il à l’échelle planétaire « au contact des éléments, du monde naturel et des peuples », liant intrinsèquement Terre et Monde : « ce long poème évoque l’épopée de l’espèce humaine depuis ses origines jusqu’à nos jours » au contact du reste du vivant qui peuple la Terre.

Régis Poulet nous invite ainsi à le suivre dans un véritable voyage d’exploration, une expérience existentielle intimement liée à l’écriture poétique, qui ne peut être, dans la perspective géopoétique – branche cousine de l’écopoétique – à laquelle il participe activement1, qu’une tension saine et sensible de l’esprit, une attention soutenue et sans faille aux « lieux marins et terrestres, [aux] êtres vivants qui les ont peuplés et les peuplent encore. »

Il faut revenir pour cela dans le temps, à différentes époques prodromatiques, se situant entre l’ère tertiaire et quaternaire, et d’abord à l’origine la plus lointaine connue de notre espèce, il y a 7 millions d’années. Dans ces parties, la poésie de Régis Poulet est évanescente, fugitive et insaisissable, entourée d’une sorte de fumée blanche ne dévoilant ni les marges, ni les limites de ce qu’elle évoque et contient, comme si nous étions pris dans les sinuosités d' »un chemin qui n’a pas de fin ». Il n’est donc pas surprenant qu’elle ne soit pas contenue dans des phrases (ou si peu). La brièveté des évocations, l’absence presque complète de ponctuation, la tentation de l’inventaire et de l’énumération propre aux travaux des anciens naturalistes, conduisent à une description volontairement fragmentaire des paysages, à une peinture de tableaux en quelque sorte impressionnistes, dont les sujets ne sont pas figés, fossilisés, conservés comme mémoire du passé, mais au contraire dynamiques, toujours vifs et vivants, fugaces aussi. » […]

« Dans les interstices de ces tableaux impressionnistes périodisés et au-delà des descriptions très élaborées, naturalistes en un sens, le poète perçoit une « lumière orphique ». Il parvient – c’est ce qui est le plus remarquable poétiquement – à saisir, dans ce qu’elle éclaire, les mouvements et les dynamiques les plus imperceptibles, relevant d’une sorte de rêverie édénique. C’est ainsi que l’on perçoit la beauté des images poétiques : « des cristaux de neige » croissent « dans les cerveaux émerveillés », « les cris » sont serti[s] de silences ». (LIRE LA SUITE)

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