La plaine qui tangue

Souvenirs d’une promenade dans le Veynois

par Nicolas Boldych

 

 

Hespéride

 

Lumière brisée par l’ombre, ombre brisée par la lumière,

pas de combat entre elle et elle

mais la seule géométrie des montagnes qui les attise tour à tour

et le soleil qui soumet la plaine

(Une plaine qui en décembre n’est qu’un grand bloc de givre

qui tangue)

à ses girations hivernales.

 

C’est une plaine aux lumières obliques, brumeuses,

une Hespéride

offusquée tout au long du jour

par d’impressionnants cônes de roches brunâtres

où courent de tenaces pinèdes

pleines de feu.

 

 

Aux frontières des champs, entre des villas de verre et de métal morfondu,

agit le corail des peupliers,

de crépitants feuillages réticulés

 

Placés entre air et eau

Ils se gonflent de ces vents étrangers

qui font saillir leurs veines

populations de rameaux souples et verticaux

 

C’est alors comme une limite qui prendrait feu

avant de redevenir hypoténuse de l'ombre.

 

 

Pour l’Histoire ils sont les sentinelles romaines des arpents de terre

d’un tel ou d’un tel,

 

pour ma part cette géométrie primitive

ce paysage sec et aérien, à la tête haute, m’ évoque

plutôt,

tour à tour,

un Iran des plateaux

un bêlement de moutons noirs

un vieux verger de rosacées alpines

une Arménie  

oubliée dans un coin de l’interminable parchemin de la terre.

 

 

Schiste et calcaire

 

De part et d’autre de la plaine

Se font face le schiste et le calcaire

 

A l’est le schiste

archives de carbone entassées

en crassiers pyramidaux

piquetés de genêts

de pins

ayant pris racine à même les remous

d’une excessive cuisson

 

A l'ouest le calcaire

un feu toujours agissant au cœur de la pierre

un son clair et sec attirant

les pluies d’hiver

l’ardeur de l’éboulis comme velléité de langage

aux portes des villes de Veynes, Serre, Aspres.

 

Entre eux une plaine limoneuse

un mortier de sable, d'argile, de glace,

où ont été plantés comme des pieux les poiriers et pommiers

en rangées policées qui pourtant cachent

des ruisseaux aux cressons flottants

des friches où rosiers sauvages, prunelliers, néfliers se pourchassent

à l’ombre des frênes aux branches souples et noueuses

qui sont comme les muscles toujours jeunes de l’hiver.

 

 

Buëch et Buëch

 

De Lus la Croix haute

descend le grand Buëch

qui rumine sa force

en flots clairs et gouleyants

 

qui tombe vers le sud

emportée vers une lumière qui tarde à venir.

 

 

De l’est vient le petit Buëch

 

Après avoir franchi les murs

de calcaire, traversé les labyrinthes karstiques du Dévoluy 

Il tombe dans la plaine qui tangue

 

C’est un

bœuf au pelage d’émeraude

égal dans l’ombre et la lumière

une écume de lait

allant parmi les ronces et les saulaies

 

Les deux Buëch se retrouvent au sud de la plaine de Veynes

qui s’évase avant la clue de Serre,

ils roulent, unissent leurs forces qui jusqu’alors s’ignoraient

dans d’immenses et quasi désertiques

gravières.

 

 

J’ai suivi le petit Buëch au rebours de son flot

qui disait la pleine moisson de neige du Dévoluy

me frayant tant bien que mal dans une sylve aux

couleurs glauques, délavées ,

ou au contraire cyaniques

 

Me suis arrêté de temps en temps pour les fruits des

roses canines, ces gratte culs

qui coiffés d'une poudreuse

font, dans le Dévoluy, d’excellents sorbets,

 

J’entrais d’heure en heure

dans le temps de la terre

 

A la Roche des Arnauds une rivière

argentait l’interminable ligne droite où elle était endiguée avant de chuter

invisiblement dans

un désert de pierres

 

plus loin des aboiements de cerbères mordirent à plusieurs reprises le silence

et je croquai dans ma dernière pomme

Avec en vis-à-vis les collines gapençaises

Qui marquaient la fin de la plaine qui tangue, de l’Hespéride du Veynois.

 

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