A propos des fleuves
par Nicolas Boldych
Le nom des fleuves
Il me paraît vain de chercher un sens univoque, étymologique, aux noms des fleuves, car le nom du fleuve possède en lui-même son sens aussi insaisissable par la raison linguistique que ces flots le sont pour la main de l'homme. Il glisse entre les filets de la raison. Il est le nom d’une constance attachée aux flux même des transformations. Le sens de son nom se confond avec celui de ses flots.
Pourtant je perçois parfois dans leur racine (R N, D N, S N, G R) comme l’expression d’une action, une action indéfinissable tenant à la fois du surgissement, du creusement laborieux, de l’usure, de la fécondation, quand bien se confondrait-elle avec l'inondation.
Le nom du fleuve serait aussi le nom de cette action.
La première consonne exprimerait l’acte fondateur, l'impulsion sombre de la source. Elle est souvent suivie par un N émollient, liquide.
Les voyelles enfin apportent lumière et couleur, et cela aboutit à modulation unique : Rhin, Rhône, Seine, Saône, Danube, Don, Garonne, Gironde, Gars.
Pour ma part le RH initial du Rhône, comme du Rhin, m’évoque le passage d’un surgissement profond titanesque, mitigé par un H léger et hiératique, traduisant leur long passage dans le silence des grandes Alpes.
Il est suivi du N doux et liquide de la plaine où son flot est captif.
De la multitude à l'unité
Collecteur des eaux, des ruisseaux infimes, le fleuve en son alpha manifeste l’accord d’une multitude, il n'est que murmure, accumulation de méandres hésitants. Cône, échancrure, éventail large et accidenté de sa naissance qui ouvre la voie à la grande descente des eaux.
La pulsation capillaire des eaux rejaillit dans le vide, à flanc de falaises, et parfois cascade.
A la naissance du fleuve il y a la glace des origines, stérile, entre hiératisme et délitement.
L’eau jaillissante est encore porteuse du lourd sommeil des glaces, d'une blancheur formelle attendant d'être assouplie, d'une rigidité qui se pliera peu à peu au jeu de la fertilité, de la cibation.
L’eau met du temps à trouver sa voie, sa lumière, son corps.
Il y a l’eau crue des torrents, et de l’eau cuite du fleuve.
Entre crudité et cuisson, vide des eaux glaciaires et plénitude de l'eau limoneuse le fleuve trouve peu à peu sa vitesse, son rythme, son action.
Le duc des eaux
Première domestication, naturelle, des eaux au moment du fleuve.
Trouve-t-il sa forme ? Non, il s’échappe à lui-même, il est forme en mouvement.
Son décours fixe un niveau, une surface qui porte en ses méandres les lumières changeantes du paysage.
Le fleuve inscrit le paysage dans le temps, un temps rythmé par flux et reflux, transformation des eaux.
Au fleuve est réservé un cheminement clair et nécessaire ; il lui est réservé de glisser en pesanteur depuis la récolte des eaux agissantes, eaux blanches du ciel percées par la foudre, jusqu’à l’océan où elles s’ignorent depuis une éternité.