Robert Hainard

Robert Hainard (1906-1999) était un naturaliste : artiste, savant, penseur et défenseur de la nature, plus précisément de la nature sauvage. Il la concevait comme la vie agissant par elle-même, englobant l’homme tout en étant extérieur à ses schèmes, ne pouvant être produite par l’activité artificielle aussi intelligente et organisée soit-elle. Elle était pour lui essentielle et il ne cessa donc de chercher son contact, de la connaître, de l’exprimer, et de la servir. Il s’intéressa en particulier à la vie animale. Vivant en Suisse, il l’observait autour de lui, mais voyagea aussi dans de nombreuses régions sauvages d’Europe comme les Pyrénées ou les Balkans. L’observation directe, sur le terrain, était pour lui essentielle, bien plus que la documentation et il ne se considérait pas, pour cette raison, avant tout comme un dessinateur d’histoire naturelle. L’idéal pour lui était de saisir ce qui se présentait avec un œil neuf, comme pour la première fois. Court-circuitant les schémas préexistants de perception du monde, il cherchait à gagner un réel brut, dans le mouvement-même de la vie. L’animal représenté était très souvent inséré dans son milieu. Dans certains cas l’attention était donnée même à tout un biotope, à tout un espace de vie. Ce fut le cas pour le Rhône notamment, cours d’eau qu’il aimait profondément et dont il critiqua par ailleurs la politique d’aménagement. Il en livra des dessins et des gravures au grand public dans deux très beaux ouvrages, Quand le Rhône coulait libre et Nuits d’hiver au bord du Rhône. Les illustrations y sont accompagnées de phrases courtes, dans un style qui n’est pas sans rappeler les tableaux chinois ou les estampes japonaises qu’il admirait (il y voyait un art « très nature, très spontanée, très immédiat »). Le Rhône y est représenté comme un espace de présences élémentaires (cette phrase par exemple : « l’eau calme, les herbes sèches sur l’île de sable, le coteau boisé »), comme un espace de vie et de biodiversité aussi – loutres, grands harles, hulottes, hérons, noctules ... -, un espace de présence et de sensations (« à minuit, le Rhône fume au creux des Roches, dans la nuit glacée, derrière le sable et les roseaux givrés »). On entre ainsi dans une pulsation ou une chair de monde (de nombreux rapprochement sont possibles entre l’œuvre de Robert Hainard et la pensée phénoménologique).

Le dessin, comme pratique et comme image, était donc pour Robert Hainard une façon d’expérimenter, et de faire expérimenter le monde et la vie sauvage, « d’appréhender le réel dans toute sa complexité, de le digérer, de l’assimiler, de le restituer dans toute sa simplicité, en somme de connaître le vivant de l’intérieur ». Dans plusieurs textes Robert Hainard parlait de cette connaissance, intime, vivante, entière, en la distinguant de la connaissance scientifique, saisissant pour sa part des objets inertes, et de façon fragmentaire…. Les opposant, il prenait soin de les présenter comme complémentaires. Mais, dans un monde de pensée analytique et cérébrale, il préférait insister sur la valeur du dessin et regrettait de voir la pratique décliner. Cette connaissance acquise par le dessin, il la qualifiait de « comparée » car née d’une observation et suivie d’une expression permettant une comparaison avec le modèle, à partir de quoi juger de la justesse et de la finesse de l’art. L’art était donc pour lui une prise de contact avec la réalité, autant pour l’artiste que pour l’amateur, et non l’élucubration à vide d’un petit moi imaginatif qu’il jugeait sévèrement chez ses contemporains. L’art, à son goût, devait parler de l’expérience du monde. Le sien permettait de l’élucider, de la partager, de l’ouvrir.

 

Simon Estrangin, à Miribel-Lanchâtre (Isère), le 26 décembre 2019, vingtième anniversaire du décès de Robert Hainard

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