par Régis Poulet

 

Depuis longtemps je suis le travail de Fred Griot. J’ai autant apprécié l’énergie rock de ses performances que le phrasé délité de ses poèmes. Autant dire qu’il a du goût pour les pierres et la rudesse. On pourrait suivre sa trace — si le vent ne l’avait effacée — en maints lieux où il est plus aisé de toucher l’essentiel de ce qu’habiter le monde veut dire : traces de vtt en Islande dans les années 80, traces de pas dans bien des lieux où nos ancêtres nous parlent encore avec leur art rupestre et pariétal. Il en est né un besoin d’inventer un langage propre, fait de martelage sur le silex de la langue, langage de taiseux quelque peu hérité du lignage mais langage qui fait sonner creux la littérature de foire. L’on n’est pas dans la domestication mais dans le sauvage, le brut — la forêt de l’homme aussi bien que le monde des pierres.

 

C’est un peu tout cela qui tient les toiles des yourtes fixées sur le causse du Larzac en cet hiver 2013.

 

Dans cabane d’hiver, journal d’un mois passé sous yourte, ce n’est ni le dolorisme du pénitent ni le citadin se mettant au vert que l’on trouve, mais encore cette envie de regarder l’étrangeté du dehors tout en guettant les signes de son travail sur soi, sur les mains, sur l’habitus.

 

« c’est tout sauf une recherche de limites. Un certain goût de la rudesse sans doute, mais surtout un plaisir du simple, du contact au dehors, de ramener toutes choses à leur essentiel »

 

« en fait plus ça va, moins je sais le pourquoi de ma venue ici, cela se dissout, et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. je suis ici, point. »

 

Qu’est-ce qui est le plus difficile : lutter contre le froid dehors du causse ou contre le dedans bavard qui cause ?

 

« arrive pas

à la boucler

ça cause toujours

dedans »

 

Alors que chez Fred Griot la bête est muette (in La chasse au fuck), l’homme a son intériorité qui le perturbe et le pousse à produire :

 

« me laisse ces répits, ces temps, doux, posés, paisibles, ou je ne ‘produis’ pas mais reçois, accueille, et alors lis, médite, écoute… il m’a fallu longtemps, quasi 35 ans, pour, obligé par la toxicité psychique d’un fonctionnement qu’il fallait refonder, apprendre cela, ne rien faire parfois, laisser faire, juste laisser couler… »

 

« grande bande du ciel bleu, immaculée et large, sur celle du sol blanc, éblouissante de luminosité, à peine quelques très rares tout petits nuages, après le jour de très chaud d’il y a quelques semaines c’est l’une des plus belles journées. ça deviendrait presque de la rigolade, tous les gestes sont plus faciles, et l’on est comme gonflé d’entrain et d’une petite joie discrète, l’on a envie de sortir de la tanière, et même dans notre complexité d’homme contemporain et notre détachement de la nature l’on répond encore à ces appels-là, archaïques, comme ceux du printemps. »

 

Lire écouter voir Fred Griot c’est non seulement entendre un accent qui sourd non de l’urbanité mais des montagnes, mais surtout découvrir une œuvre qui avance en empruntant les coulées, les pistes et les espaces non balisés.

 

Pour commander le livre ou écouter une lecture-concert par Fred Griot, Eric Groleau & Olivier Leté.